Angel or Not †

Ça fait à peine une journée que tu es parti pour remplir la mission que le RGPC t’a confiée. À toi seul, alors qu’ils savent que nous fonctionnons en équipe, tous les deux. Non ? Je ne comprends pas leur façon de penser. Cependant, je sais une chose, c’est que peu importe combien tu essayais de dissimuler ton humeur, je pouvais percevoir le léger soulagement que ta Musique émettait à l’approche de ton départ. T’éclipser dans un autre monde pour ne pas avoir à supporter mon état déprimant pendant quelques jours.

Ne crois pas que je ne l’ai pas compris.

En même temps, rien qu’à entendre ma Musique solitaire me renvoyer ma propre humeur, ton souhait de t’écarter devient tout de suite compréhensible. Moi aussi, je voudrais m’en éloigner. Je te l’accorde, me côtoyer doit être insupportable sur le long terme. Au moins, tu as eu la foi de m’en avertir et de me donner les consignes basiques à suivre avant d’y aller.

Les appliquer est une autre histoire. Tu aurais dû t’en douter. À commencer par le fait que non, je n’ai pas réussi à dormir de la nuit, faute à ton absence… et à celle de ta Musique, et que cette ville est plus étouffante que d’habitude, même en restant au sein de l’appartement.

Je pourrais sortir. Tu m’as demandé de te remplacer en tant que serveur. Même si tu m’as enseigné comment en faire – toujours très aimable de ta part –, je ne sais pas si tu as remarqué qu’avec mon apparence de quinze ans, je n’ai aucune chance d’être recruté par ton patron. Sigh.

Ou rendre visite aux voisins est une option envisageable pour m’occuper l’esprit, mais je le pressens mal avec tous les propos étranges qu’ils croient sur nous. Ils tenteraient sûrement de me consoler en disant qu’il ne s’agit que d’une ’’dispute de couple’’ et que ça va s’arranger. Je passe mon tour d’avance, nous ne nous sommes même pas disputés.

J’ai juste besoin de prendre l’air, et certainement pas en restant à San Fransokyo. Jetant un coup d’œil à mon portable orange, le choix de ma destination est pris.


M’habillant chaudement d’un pull noir avec une veste à carreaux violet et marron par-dessus et d’un jean gris clair, j’embarque mon carnet de musique caché sous le canapé, un crayon et quelques Pins. Puis, je rejoins le portail de téléportation. Et, en moins de temps qu’il ne me faut pour le dire, j’arrive dans le premier quartier de Traverse Town sans encombre.

Je regarde les alentours qui n’ont pas changé, toujours cette même allure un peu ancienne et ce même ciel plongé dans la nuit. L’atmosphère constamment pesante et les Musiques déprimantes des passants ne donnent pas vraiment envie de traîner dans les environs. Ainsi, je me dirige instinctivement vers les back streets.

Petites ruelles que je connais sur le bout des doigts, aussi bien que je connais toutes celles de Shibuya. Ces rues, j’ai toujours l’impression qu’elles me parlent, ou plus exactement, que les graffitis ornant les murs me parlent. Ma Ville a également laissé son empreinte ici.

Je m’arrête un instant devant une fresque murale particulière, et sors mon téléphone à clapet pour envoyer un message à Sanae. Je suis conscient qu’il n’y répondra pas. Il est même possible qu’il ne les reçoive pas du tout.

Mais j’ai la sensation qu’en essayant de le contacter depuis cet endroit, il y a plus de chance que le message lui parvienne. Simple intuition potentiellement fausse. Puis, je continue mon chemin vers le cinquième quartier. Les mains dans les poches, j’entre dans la serre bien plus lumineuse et chaleureuse que l’environnement extérieur.

Les plantes sont autant pleines de vie que la dernière fois que je suis passé. Est-ce que des résidents viennent s’en occuper ? Bien que la serre soit aménagée pour s’entretenir toute seule. Je ne suis même pas certain d’avoir créé tout ça de manière pleinement consciente. Plutôt une demande de Shibuya. Je fredonne doucement la Musique de cette dernière, chanson semblant se répercuter sur les murs de la serre et s’élever dans l’air.

Je marche tranquillement entre les plantes, souriant très faiblement. Penses-tu que je devrais en ramener à l’appartement ? Well, tu finirais sûrement par t’en occuper car je n’ai pas exactement la main verte.

L’afflux d’Imagination coupe court à mes pensées, exerçant comme une pression de plus en plus insoutenable à force de la réprimer. Un tumulte d’idées de partitions qui m’envahit la tête, les mélodies accompagnant chaque note, et me rendant pratiquement sourd au reste du monde. Peut-être devrais-je arrêter d’accumuler ce trop plein et le vider régulièrement comme tu fais. Non seulement, c’est encore compliqué pour moi, mais aussi, avec davantage d’idées en même temps, je pourrais en écrire une beaucoup plus décente et… que tu pourrais apprécier ? Toi dont la musique classique n’est pas ce que tu écouterais en premier ?

Soupirant à nouveau, je tourne les talons pour revenir dans les premiers quartiers, venant m’arrêter devant ce bâtiment ressemblant fortement à une église. Fouillant ma poche, j’atteins mon Pin de téléportation. La seconde d’après, je me retrouve sur le toit, surplombant le deuxième quartier. Je m’assois sur le rebord, et ouvre mon carnet de musique sur mes genoux. Alors, je commence à retranscrire les diverses chansons flottant dans ma tête sur le papier, tout en regardant de temps à autre les gens errer.

Il n’y a pas à dire, les espaces en hauteur sont bien meilleurs qu’être cloués à la terre.

Angel or Not †

Je l’ai entendue. Bien sûr que je l’ai entendue à la seconde où je me suis téléporté sur le toit de cette ’’église’’. Une Musique d’Âme. Et très proche. Même si je l’ai magnifique bien ignorée en m’asseyant quand même sur le rebord du toit. Je peux le dire avec certitude, il y a quelqu’un d’autre non loin de moi.

Qui que soit cet individu, il ne m’a pas attaqué ou menacé verbalement pour que je quitte son espace. Ce que je n’aurais pas fait, dans tous les cas. Cela m’étonnerait que ce bâtiment lui appartienne. Par conséquent, s’asseoir sur ce toit est autorisé pour tout le monde.

Malgré que je ne veuille pas faire attention à lui en continuant d’écrire des partitions, en barrant ou en corrigeant certaines, sa Musique me parvient sans mal. Elle se faufile à travers le tumulte d’Imagination dans ma tête.

Je l’entends. Trop bien, même. Pourtant, ’’trop bien’’ n’est pas exactement le terme que j’emploierais. Je l’entends distinctement. Elle est différente des autres Musiques. Elle ne me renvoie pas, pour humeur, de la déprime. À vrai dire, elle ne me renverrait rien si je n’y prêtais pas excessivement attention. Il y a de colère. Sauf qu’elle n’est pas comme la tienne.

La tienne, ta Musique n’hésite pas à le hurler, lorsque tu es en colère. Celle-ci… c’est une colère plus ’’sourde’’, profondément ancrée dans cette Musique d’Âme qui ne semble que me ’’demander’’ de l’écouter.

Dommage pour cette Musique. Si elle avait appartenu à un habitant de Shibuya, elle aurait davantage attiré mon intérêt.

Alors, je continue simplement de l’ignorer pour me concentrer sur ce que j’écris.

Malheureusement, c’est plus facile à dire qu’à faire, puisqu’elle arrive à percer mes murs mentaux. Son style de tonalité m’appelle un peu trop, je suppose. Sa Musique ’’ressemble’’ à la mienne. C’est de la musique classique.

Je soupire en posant mon crayon sur mon carnet et relève les yeux pour observer les passants. Les Musiques d’Âme avec un style classique sont assez rares. Il s’agit généralement d’Humains avec un âge avancé, ou autrement dit, des ’’personnes âgées’’. Mais je doute qu’une personne âgée réussisse à monter sur un toit.

Ne lui accordant aucun regard, je déclare banalement à voix haute :

« Tu sais, je ne pense pas que regarder les pauvres âmes perdues de cette ville apaisera cette colère qui t’anime. »

Des pauvres âmes perdues dont nous faisons tous les deux partis, maintenant, en quelque sorte. Tes amis aussi, où qu’ils soient.

En soi, je ne peux dire pourquoi je m’ennuie à lui adresser la parole. Il n’est qu’un habitant parmi tant d’autres venant de l’un des ces divers mondes flottant dans le multivers. Peut-être que le ’’rare’’ style de sa Musique m’a convaincu de lui parler, d’une manière ou d’une autre.

Toutefois, par prudence, je garde un de mes Pins, Sexy B, à portée de main au cas où. Si auparavant, je pouvais prédire les prochains mouvements d’un potentiel adversaire dans une certaine mesure, je n’ai désormais plus cette capacité. Et je ne pense pas – ou je n’espère pas ? – que tu serais heureux de découvrir que je ne rentrerai plus jamais à l’appartement à cause d’une sortie imprudente.