Ce n’était décidemment pas un bon jour pour Gaston.

Quelque part, à la lisière des bois, Gaston scrutait le ciel à la recherche d’une oie sauvage ou autre gallinette cendrée qu’il pourrait ramener à son village. Mais plus les jours passaient, plus Gaston s’inquiétait de voir le ciel s’assombrir. A ce rythme, les journées seront si courtes qu’il verra à peine le soleil se levé.

L’homme soupira et attrapa le sac en toile de jute à ses pieds, le hissant sur son dos. Heureusement, il n’allait pas revenir totalement bredouille de son excursion, à l’intérieur de sa hotte il y avait une biche qu’il avait pris le temps de découper, segment par segment, et qui faisait encore son poids. Ah, quel bel animal ! Cela faisait longtemps qu’il n’en avait plus vu des comme ça. Il suspecte que les créatures (comment c’était déjà leur nom ?) les faisaient fuir ou les transformaient. Gaston avait bien essayé d’en tuer une ou deux, mais impossible de les manger, elles s’évaporaient aussi vite qu’elles apparaissaient.

D’un pas lourd, Gaston retourna en arrière, bien que toujours pensif, c’est assez rare pour le souligner. Ses journées étaient bien différentes à avant, il passait de plus en plus de temps dans les bois, mais revenait de plus en plus souvent les mains vides. Est-ce-que seulement ça valait le coup de revenir à son village ? Ne devrait-il pas rester un peu plus dans les jupons de Dame Nature ? Mais à quoi bon ? La forêt se tarissait et n’avait plus grand-chose à lui offrir, elle devenait sombre et même les loups devenaient plus voraces, sortant de plus en plus tôt de leur cachette.

Si jusqu’à maintenant Gaston réussissait à garder la face, il ne pourra pas jouer l’optimiste encore longtemps, bientôt ses abrutis de copains vont piger que y’a un truc qui le tracasse sur l’avenir du village. Et un Gaston tracassé, ça n’augure jamais rien de bon.
Finalement, c’est un peu par hasard que Gaston se retrouva dans une clairière, endroit si dégarni que les démons n’iront certainement pas se risquer, ni les loups d’ailleurs…Encore moins le gibier.

Mais tant pis, Gaston avait bien droit à un peu de repos, non ? Il avait eu une journée de guerrier.
S’asseyant au pied d’un arbre, il posa le sac à côté de lui et profita de ce court temps de répit pour recharger son arme. Elle sera au moins prête pour le lendemain-…

C’était sans compter sur le bruit d’un froissement de feuilles qui monta aux oreilles de Gaston.
Il plaça la dernière balle de plomb dans son arme, non sans un léger cliquetis.
Puis fit brusquement volte-face pour mettre en joue la proie : ce n’était pas un animal, mais il y avait bien quelqu’un, il pouvait discerner une ombre qui se détaché du reste.

« Annonces-toi étranger ou je tire. »

En fait, il avait déjà tiré. Sur ce qu’il avait l’air d’être son chapeau.
Ça fait toujours son petit effet lors d’une première rencontre.

Fronçant les sourcils, Gaston pouvait petit à petit discriminer les traits de l’inconnu. Il était particulièrement grand, allongé dans sa forme et doté d’une petite barbe torsadée. Surtout, il n’avait clairement pas l’air d’être d’ici : au-delà de ses vêtements extravagants, son teint basané lui donnait les airs d’un saltimbanque venu d’un de ces pays de sauvages…Sans compter son regard sinistre, malgré le sourire qu’il avait aux lèvres.
Son chapeau-turban, par magie réparé, termina de rendre encore plus méfiant le chasseur.
 
« Je m’appelle Jafar et je viens de contrées lointaines, à la recherche de l’Elu. Un très puissant guerrier, un redoutable chasseur craint par toutes les bêtes sauvages. Voilà qui je cherche. Et on m’a dit que je le trouverais en ces lieux. J’imagine que vous devez le connaître… »

…Méfiance qui diminua au fur et à mesure qu’il entendit ces mots-clefs : « Elu », « puissant », « guerrier », « redoutable chasseur », « craint »…

« Mais c’est moi ! »

Ok, ça allait être presque trop facile pour le mage d’Agrabah.

Mais attention, la confiance de Gaston n’est pas si simple à gagner, il faudra plus qu’un turban qui se rebouche et des mots flatteurs pour capter plus de cinq minutes son intérêt. Même si l’introduction était déjà très encourageante, ce « Jafar » avait malgré tout un désavantage de taille : son faciès qui n’inspirait pas vraiment la sympathie, et hélas, on ne parlait pas simplement de « critères de beauté » à ce stade…

« Je suis Gaston, l’UNIQUE chasseur de ce village. Que me voulez-vous ? »

De la tête aux pieds, il continua de toiser du regard l’étranger. Il ne voyait pas vraiment d’un bon œil que quelqu’un de son genre traîne dans son bois… Et si ses airs confirmaient bien ses intentions, Gaston n’était pas suffisamment stupide pour se faire avoir par le premier « prophète » venu. Certains avaient fini sur un bûcher pour moins que ça.

« Seriez-vous donc l’Elu tant recherché par Son Altesse, le Prince Hans ? Eh bien… laissez-moi vous expliquer la situation. J’ai été engagé par celui-ci afin de trouver une force de la Nature capable de l’aider à vaincre une terrible sorcière qui tient son royaume sous son joug. »

« Son Altesse » ? « Prince Hans » ? Gaston croisa les bras, les sourcils froncés et la mine toujours dubitative. Il continuait d’écouter l’étranger, même si l’évocation d’une « terrible sorcière » était à deux doigts de lui faire lever les yeux au ciel, il était même sur le point de l’interrompre quand soudain une silhouette enflammée apparue dans les airs. Gaston sursauta, fit un pas de recul, prêt à prendre ses distances en pensant à tort qu’il s’agissait d’un maléfique. Puis en inspectant cette « image » de plus près, il remarqua en effet les traits féminins de la sorcière, ce qui le souffla à se taire pour continuer de regarder.

« Il fut un temps où il a tenté de la détrôner car elle avait emprisonné son propre royaume dans un hiver éternel et blessé sa propre sœur, sa propre famille qui lui restait, en lui gelant le cœur. »

Les scènes s’enchaînaient et Gaston restait là, à contempler ce spectacle de magie avec étonnement. Il était bon spectateur et la voix de narrateur du sorcier aidait bien à rentrer dans l’histoire… Tout cela ressemblait bien à un conte de fée, même si Gaston n’en avait jamais lu.

« Malheureusement, sa magie est bien trop grande et il a échoué. Dans un élan de lucidité, elle a retiré le maléfice infligé à sa sœur mais pour mieux ensorceler son esprit et la convaincre que le prince était le méchant de l’histoire, sans oublier de monter son royaume contre lui, alors qu’il faisait tout pour tenter de sauver ceux qui pouvaient encore l’être. Ce n’est pas à vous que j’ai besoin de préciser qu’un rude hiver en plein été est absolument néfaste pour les récoltes… »

En effet, Gaston n’était pas insensible à la détresse d’un peuple, surtout dans de telles circonstances, il n’était pas un monstre et surtout, tout était bon pour valoriser son ego. Il ressentit même un frisson d’horreur en entendant les éclats de rire maléfique de cette terrifiante sorcière. Réellement prit dans ce spectacle.

« Je suis peut-être sorcier moi aussi mais j’ai des principes ; une femme au pouvoir, une sorcière capable de geler un royaume qui plus est ? Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. J’ai donc proposé mes services au prince et il m’a demandé de lui trouver des alliés. Mes pouvoirs m’ont alors prophétisé l’arrivée d’un Elu qui serait en ces contrées. Un homme fort, un guerrier qui n’a peur de rien. Un Elu qui terrasserait sans problème l’armée ensorcelée de la Sorcière des Neiges. »

Hmhm.
Le sorcier parlait bien. Quelle idée saugrenue d’avoir mis une femme au pouvoir pour commencer, même quelqu’un comme Gaston aurait deviné que ça ne pouvait que mal finir. Il aurait presque pu dire que ce royaume l’avait un peu cherché, à moins que cette sorcière les ait ensorcelées depuis le début ? C’était la seule excuse entendable pour lui.  
Mais passons, car le speech avait beau être très convainquant et si Gaston se sentait très flatté d’être apparu dans la prophétie d’un tel sorcier puissant, il n’avait pas non plus le temps de sauver la veuve et l’orphelin.

Il n’était certes pas prince, mais il avait lui aussi « son village » à protéger.

« Je vois. »

Gaston se revigora en redressant sa tête, toussotant légèrement dans sa main pour se donner une voix plus ferme.

« Je suis très flatté qu’on voyage de si loin pour me trouver, moi, c’est bien la première fois que ça m'arrive. »

Il posa ses mains sur sa ceinture.

« Cependant, je crains que vous tombez mal, même si je suis sensible à la situation de ce prince, j’ai moi aussi des obligations en tant que chasseur. »

Il fit un mouvement ample devant lui en soupirant.

« Voyez-vous, des démons, des sans-cœurs, ont tenté plusieurs fois d’attaquer mon village. Je compte déjà quelques pertes dans mes camarades. »

Sait-on jamais, un sorcier si puissant pourrait bien lui apporter une solution ? Gaston étira un sourire désolé.

« Une absence trop longue de ma part mènerait mon village à sa perte, ils comptent sur moi, voyez-vous. »

Il dévisagea le sorcier en penchant brièvement la tête en avant, d’un air entendu.

« Peut-être que si ces créatures disparaissaient, je pourrais devenir disponible et accomplir cette quête l’esprit tranquille… »

Ses yeux basculèrent sur le sceptre serpent que tenait l’homme.

« Je n’accorde pas vraiment de confiance à la magie, mais vous allez l’air d’être un homme puissant et plein de savoir, vous avez peut-être une petite idée pour m’aider ? Ce serait donnant-donnant. »

« Hum… des Sans-Coeurs ? J’ai déjà entendu parler de ces créatures. J’en ai même affronté. Ce n’est vraiment pas simple d’en venir à bout mais je pense pouvoir y faire quelque chose. Montrez-moi d’abord votre village dans ce cas. »

Aussitôt dit, aussitôt fait, Gaston alla accompagner le sorcier jusqu’aux portes de son village. Sur le chemin, il eut tout le temps de se demander si c’était bien une bonne idée de montrer à un étranger doté de pouvoirs magiques (donc par défaut démoniaques) son village, mais c’était maintenant trop tard de faire demi-tour. Et puis, aux grands maux les grands remèdes. Si la force physique et les babillages des prêtres ne marchaient pas, pourquoi pas un sorcier arabe ? (Au pire, il pourra toujours demander à ce qu’on le crame à un bûcher si ça ne fonctionne pas.)

Arrivé sur place, Gaston fit le tour du village avec le sorcier, ce dernier était silencieux, l’air de réfléchir. On était de jour, ainsi les sans-cœurs ne semblaient pas courir les rues mais à bien y regarder il y en avait quelques-uns qui les regardaient dans l’ombre des ruelles. Gaston ne se retint pas d’ailleurs d’afficher son dégout et mépris : « Hmf ! Voyez ! » On aurait dit des rats, voire pire, des insectes, à grouiller quand on ne les regardait pas.

Finalement, à la demande du sorcier, ils allèrent sur la place du village, toujours dans le plus profond des silences, malgré les regards curieux des villageois. Un certain nombre s’était d’ailleurs mis à suivre le duo, dans une totale incompréhension. Gaston qui était du genre à parler fort n’avait alors toujours rien expliqué et cela inquiétait un peu tout le monde (surtout en voyant les vêtements et le visage de l’inconnu qui était avec lui).

La seule chose qu’exprima Gaston, c’était de dire au peuple de reculer, jetant malgré tout un œil circonspect au magicien vêtu de noir et de rouge. Ce dernier utilisa son bâton en forme de serpent, proférant quelques mots dans sa barbe avant de faire exploser une onde magique tout autour d’eux (et semblant même traverser Gaston sans qu’elle ne lui fasse rien !), ajouté à ça comme des effets de flammes qui allaient dans le ciel…Puis de nouveau le silence tomba.

Le magicien avait l’air satisfait.

« Voilà qui est fait, Elu.»
« Vous vous fichez de moi ? C’est tout ? »

Gaston regarda autour de lui, sourcils froncés…Rien n’avait l’air d’être changé, quoique dans la ruelle il ne voyait plus de petits yeux jaunes les épiaient. Ayant trop peur de se faire rouler, il ordonna à tous les hommes du village de fouiller les moindres recoins sombres et de revenir de suite si jamais ils apercevaient la moindre lueur dorée cachée !

Une bonne demi-heure passa (oui le village était petit) et Lefou revint en premier, essoufflé.

« Gaston… ! Rien, il n’y a plus rien ! »
« En es-tu VRAIMENT sûr Lefou ? »
« Moi et tous les hommes nous sommes plus qu’affirmatif, Gaston ! »

Gaston se pencha un peu plus vers le petit homme, les sourcils toujours aussi froncés.

« …Ca…Ca veut dire que oui, on est vraiment sûr. »

Gaston se releva, affichant une mine profondément soulagé.

« Dans ce cas… »

Le soleil commençait à tomber, leurs ombres s’agrandissaient sur le sol… De ses propres yeux, Gaston pouvait : plus de démons, plus de pauvres diables qui guettent pour leurs âmes… Son petit village tranquille était redevenu comme avant.

« …J’imagine que notre sauveur a un nom. »

Tout le village s’était alors rassemblé autour d’eux. Gaston prit une profonde expiration et pointa soudain du doigt le sorcier.

« HOMMES ! Saisissez-le ! Ce soir, c’est MA tournée ! »

Et une exclamation de joie emporta tous les villageois, les hommes s’étaient alors jetés sur Jafar pour le porter à bout de bras (malgré les protestations de ce dernier). D’un même pas, ils avancèrent vers la taverne, en chantant en cœur la chanson de leur chef : « LE PLUUUUS BEAU C’EST GASTON, LE PLUS CHOUETTE C’EST GASTON !! HIP HIP HOURRA !! »
Gaston ricana et était en tête de gondole, jetant un regard au sorcier éberlué.

« Marché conclu, Gafar. Je serai ton homme. Mais avant, faisons un peu la fête ! »