Doucement, Aisling se relève, laissant la brume envahir l’endroit où le corps de l’homme git. Et alors qu’elle met dans une poche un flacon rempli d’une substance bleuâtre, son regard opalescent inspecte les environs. Personne. Personne — sauf une ombre, qu’elle ressent, plus loin — et une étrange lumière.

Alors elle se faufile dans sa brume et évade.

Et marche. Doucement, entre les filaments argentés de sa brume, entre les ruelles et les rues de Port-Royal. Elle entend des pas, mais continue. Si quelqu’un la suit, elle aura ce qu’elle cherche.

Le jeu continue jusqu’à la lisière de la forêt, où, subitement, elle s’arrête. Une voix.

Maman ?

Les secondes passent et Aisling ne sait trop comment réagir — elle qui, habituellement, a toute l’éloquence du monde, se voit laissée sans voix, alors que ses yeux sont baissés vers ce qui vient de la percuter et de l’enlacer, elle qui, dans une de ses mains, a sorti une de ses dagues dans un mouvement sec, s’apprêtant à frapper quiconque venait de l’attaquer.

Devant elle, une jeune fille.

Une petite, qui déblatère des mots qu’elle ne comprend à peine. Elle s’adresse à elle — mais ce n’est pas d’elle dont elle parle. Et cela, elle en prend conscience bien trop tard, lorsque son visage se porte finalement sur le sien.

Elle s’est excusée, avant de se reculer d’elle, son regard jaune brillant toujours planté dans le sien, au beau milieu de la brume de sa forêt.

Pauvre petite.

« Tout va bien. Je sais combien la brume peut être ô combien trompeuse. »

Alors, Aisling remet la dague dans son fourreau et se baisse à son niveau, ses doigts caressant doucement sa joue, inspectant son visage.

« Comment t’appelles-tu ? Es-tu perdue ? »

Encore, elle inspecte le visage de la jeune fille, comprenant que trop bien l’énergie du désespoir qui l’avait poussée vers elle. Elle l’avait vue maintes fois, cette énergie – celle qui avait animé tant de femmes et d’hommes venant la voir, mais surtout les femmes.

Les femmes pleurant la violence des hommes, leurs regards, leurs rires alors qu’ils se forcent sur elles – toutes celles qui veulent prendre la fuite, qui connaissent sa rumeur, la retrouve, malgré la brume.

Car elle les laisse entrer.

Avait-elle laissé entrer Agnès sans s’en rendre compte?

Certes, ses maux sont bien différents, et elle est perdue, bien qu’elle ne l’avoue pas. Oh, elle peut retrouver son chemin dans Port-Royal, certes, mais…

Sa perte est bien plus doucereuse.

Ses larmes l’affectent bien plus qu’Aisling voudrait le laisser paraitre, et son regard se veut compatissant.

La main prenant place sur la joue de la jeune fille caresse doucement ses cheveux et sa nuque, avant qu’elle ne la prenne dans ses bras. Comme une mère le ferait – avec des gestes doux, sans plus brusquer – si elle voulait se détacher de l’étreinte, elle le pouvait à tout moment.

« Il se fait tard; es-tu certaine de vouloir retourner à la ville? Port-Royal n’est pas la cité la plus sécuritaire… »

Surtout pour une si jeune fille.

La pauvre enfant ne fait que se réfugier dans ses bras, sans même dire un seul mot, et Aisling sait à ce moment qu’elle ne peut la laisser seule plus longtemps. Peu importe ce qui l’a amenée à la lisière de sa brume en cette soirée, elle fera en sorte qu’elle se sente mieux.

Et elle la laisse sangloter pendant quelques secondes de plus, avant de doucement rompre l’étreinte, sa main toujours posée sur son épaule.

« Viens; je vais t’emmener dans un endroit plus chaleureux qu’ici. »

Et peut-être lui raconter qu’elle aussi, elle a perdu les siens.

Et elle lui tend la main, histoire de la guider dans la forêt, entre les brumes magiques qui dissimulent sa demeure aux yeux des non-invités.

Elle prend la main de la Dame de Brume, qui lui sourit doucement, dans une forte étreinte. Aisling hoche la tête, avant de se relever de sa position accroupie, les entrainant toutes les deux au beau milieu de la brume.

La promenade se fait sans un son, et Aisling semble savoir exactement où elle va, malgré l’obscurcissement causé par les voiles de gouttes suspendues entre les arbres. Finalement, plus loin, une petite cabane de chasse faite de pierres et de bois, où la lumière d’une chandelle brulant à l’intérieur se fait voir dans les fenêtres.

Aisling monte les petits escaliers avant d’ouvrir la porte, laissant la jeune fille entrer.

« Bienvenue chez moi. Ne sois pas intimidée par mes chaudrons et mes potions. »

Aisling a le sentiment qu’elle ne vient pas du coin, qu’elle doit venir d’un autre monde totalement – elle ne ressemble en rien aux enfants habitant Port-Royal. Alors l’honnêteté serait sa clé afin d’obtenir sa confiance, surtout considérant son but ultime : de faire en sorte qu’elle se sente mieux et qu’elle puisse retrouver son chemin ensuite.

Elle désigne une des deux chaises près de la table ronde.

« Assieds-toi. D’ici demain, tu pourras regagner ton monde sans peur. »

Elle ne doute pas que le relai utilisé par la plupart des individus venant dans ce monde se trouve en plein milieu de la ville. À la lumière du jour, ce sera plus facile.