Elle avait été emportée d’urgence dans le grand vaisseau de la Fédération dès que le signal avait été reçu, dès que les Moogles avaient réussi à réparer ce système tertiaire qui, dans une situation urgente, leur permettrait d’intervenir.

Systèmes qui auraient pu sauver du temps, mais surtout beaucoup d’inquiétude s’ils n’avaient pas été gravement touchés par les flammes du gargantuesque dragon ayant terrifié Thèbes.

Bolga avait perdu conscience sur le coup, aussitôt que les flammes s’étaient emparées de son corps cybernétique, outre son armure détruite, alors que tous ses systèmes criaient l’état critique. Elle avait perdu conscience et ne s’était pas réveillée depuis.

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ REDÉMARRAGE DU SYSTÈME.

LECTURE DES DERNIERS LOGS . . . . . . . .

CHARGEMENT DES DERNIÈRES MÉMOIRES. . . . . . 5 % . . . . 28 % . . . . . .

Une silhouette noire et imposante, à la gueule d’un vert empoisonné, rugit alors que ses griffes fendent l’air devant d’autres formes, plus petites.

Son bras se transforme en canon et des jets de lumière en sortent, frappant la bête à la tête afin de la déstabiliser, mais celle-ci continue dans sa lancée. Le point de vue se focalise sur l’horrible gueule de la bête, où bouillent flammes naissantes au profond de sa gorge, puis sur ses cibles éventuelles. Une jeune fille en rose et…

. . . . . 64 % . . . . .

Des réacteurs s’activent et elle tient un bouclier devant elle, devant la gueule du dragon et sa flamme qui transperce tout, son bouclier ne dure que quelques infimes fractions de seconde.

. . . 89 % . . . . .

Son bouclier faiblit et disparait et la flamme touche son armure. Tous ses circuits sont en alerte. Elle ne voit que du rouge et du vert, le vert l’aveugle, son amure fond, se désintègre –

96 % . . . . .

Un violent coup d’une patte d’un noir d’encre, puis le vide.

MÉMOIRE CHARGÉE. ACTIVATION DES SYSTÈMES SENSORIELS.

Court soubresaut, légers tremblements de ses doigts. Les poumons artificiels de Bolga viennent de se remettre en marche et elle prend son premier souffle depuis des jours. Ses paupières tremblent doucement alors que ses yeux s’activent, puis elles s’ouvrent, révélant une chambre aux murs gris — elle reconnait sans mal le département d’ingénierie du vaisseau mère.

Puis, à côté d’elle, une silhouette aux cheveux longs et bruns, ses yeux fatigués contemplant le vide. La cyborg entrouvre ses lèvres.

▬ Tifa ?

Elle ne comprend pas à l’instant la puissante vague qui s’empare soudain d’elle, ni la raison pour laquelle son visage se tord en une grimace douloureuse. Ses lèvres tremblent violemment alors qu’elle inspire, sa gorge serrée incapable de prononcer quoi que ce soit.

Mais elle sent sa main dans la sienne et elle la serre, elle la serre comme seules paroles, paroles muettes qui témoignent d’un trouble plus grand qu’elle ne le révèle. Elle est soulagée, oui, mais si inquiète à la fois.

Elle voit ses yeux s’ouvrir grand alors que sa main serre la sienne, et, soudainement, sa belle s’anime. Elle voit ses yeux s’embrumer de larmes et elle sait, elle le sait pertinemment, si ses systèmes étaient complètement en route, elle aurait pleuré elle aussi.

Mais tout ce qu’elle peut faire, toute l’émotion présente à l’instant se voit dans son visage alors que celui de Tifa se tord, lui aussi, en une grimace soulagée.

Depuis combien de temps est-elle hors ligne ? …

▬ Tifa, tu… 

Tu es encore là.

Elle est là, dans les confins de l’Espace, avec elle, et elle pleure. Elle pleure et embrasse ses doigts et prend sa main contre sa joue. Sensation de ses larmes contre sa peau synthétique. Elle a eu peur, Tifa, elle a eu peur comme cette terreur profonde qui s’est emparée d’elle lorsqu’elle a vu les flammes.

Elle aurait pleuré. Mais elle ne le peut pas. Et en soulevant sa main libre, elle remarque leur aspect porcelaine. Doucement, ses systèmes se remettent en marche, la pigmentation de sa peau revient — se parsème de pêche et de taches de rousseur. Bolga, alors, doucement, se relève de la civière sur laquelle elle git, posant son autre main sur celle de sa bienaimée, laissant apparaitre sur son visage un sourire en coin.

▬ Il faudra plus qu’un dragon pour venir à bout de moi. 

Elle rit, un peu. Elle veut être drôle. Soulager, guérir le mal. Elle lui fait même un clin d’œil un peu mal assuré. Mais Bolga regarde alors le sol un moment, avant de retourner son regard sur son amour, les sourcils froncés.

▬ Tifa, je… Je suis désolée. 

Elle voit la confusion naître dans le visage de Tifa, et s’en désole. Elle aurait aimé être plus claire, finir sa phrase dès le départ, ne pas brouiller les pistes, mais s’en trouve tout bonnement incapable.

Elle sait que sans elle, sans son sacrifice, sa belle n’aurait vécu. Et quelque chose la ronge au plus profond d’elle, une voix qui crie « plus jamais », plus jamais, mais pourquoi? C’était la première fois.

La première fois qu’elle était sur le point de perdre une personne aussi chère en si peu de temps. Alors pourquoi ressent-elle ce vide, cet affreux vide, chaque fois qu’elle repense à cette scène?

Ses systèmes reviennent, fonctionnent, un à un. Et elle sent sur sa joue couler ce simulacre de larme alors que ses lèvres tremblent à nouveau. Elle n’a pas le temps de parler, Tifa le fait à sa place. Elle lui dit qu’elle n’a pas à être désolée, lui explique que, sans son geste, elle aurait péri. Elle le sait. Elle le sait, et ce n’est pas ce qu’elle voulait dire.

Car elle le ferait encore, et encore, et encore, si ce n’était que pour garantir la survie de Tifa et de ceux qui lui sont chers.

Tifa pleure, elle pleure aussi, elle met sa main contre son front, douce caresse, et Bolga ferme les yeux, secouant la tête. C’est une peur plus viscérale, plus fondamentale qui l’habite alors qu’elle prend sa main, embrasse chaque jointure de celle-ci, osant à peine à regarder.

Mais elle ose, après quelques secondes.

▬ Non, Tifa, tu ne comprends pas, je…

Je t’ai menti.

Elle n’arrive pas à le dire, mais la pensée résonne dans son esprit.

Bolga se fait couper dans sa phrase avant qu’elle ne puisse la finir, avant que la pensée ne fleurisse dans son esprit. Trois mots. Trois mots et elle relève la tête complètement, cherchant du regard les yeux de sa belle, sans les trouver – elle les évite. Bolga a senti son cœur s’arrêter soudainement, avant de recommencer à battre plus fort, plus vite – et cette certitude, ce sentiment, celui qu’elle a ressenti dès le premier jour, il revient. Il revient avec force et avec fougue, et au moment où Tifa la regarde à nouveau, lui explique, une vague d’émotions s’empare d’elle.

Elle a deviné ce qu’elle voulait dire. Et elle s’exprime. Elle s’en fout.

Et elle le sent – d’un seul coup, la pression, le mal, l’inquiétude se dissiper. Et toute cette boule qui s’était formée en son sein disparaît, et elle soupire, laissant le flot de larmes se déverser contre ses joues. Elle sanglote, doucement, presque sans bruit, alors que son regard s’attendrit. Et alors que Tifa lui embrasse la main, Bolga lui agrippe le coude et la tire vers elle, l’embrassant tendrement.

Et contre ses lèvres, après un court soupir, elle murmure :

▬ Je t’aime aussi, Tifa.

Elle colle son front au sien, fermant ses yeux et serrant ses paupières, les larmes coulant encore contre ses joues, interminables.

▬ Je t’aime, tellement.

Elle laisse le silence s’installer alors que les larmes continuent leur course. Elle soupire, la serre contre elle. Elle a un cœur – celui qui, métaphysique, représente l’âme, et elle le sait, au plus profond d’elle. Elle ne pourrait rien ressentir, sans lui. Elle n’aurait pas eu peur.

Elle est bien réelle.

Et, pour une fois dans sa vie, elle en a la certitude.

Et Bolga sourit entre ses larmes, essuie les siennes et celles de Tifa avec son pouce, lui tenant le visage comme elle tient le sien. Un rire coupé de sanglots avant qu’elle ne pose sa main sur celle de sa belle, secouant légèrement la tête.

▬ Tu n’as pas à être désolée ; c’était encore… Si tôt. 

Elle laisse sa main glisser loin de la sienne alors qu’elle s’assoit au bout de la civière de métal sur laquelle elle était couchée quelques minutes plus tôt. Elle semble si fatiguée. Combien de temps a-t-elle été là, à se faire réparer ? Elle sait, d’après ses dernières mémoires, que ses réparations ont pu durer plusieurs jours, mais elle ne sait rien de plus. Depuis combien de temps Tifa est-elle là, à attendre à son chevet, qu’elle se réveille ?

▬ Tes clients vont survivre quelques jours sans toi. Et maintenant que je suis réparée… Je peux reprendre du service et retourner avec toi au bar. Tu as besoin de repos.

Elle pose une main sur son épaule, inquiète.

▬ Depuis combien de temps n’as-tu pas dormi ? 

▬ Quatre jours…

Bolga fronce les sourcils, encore plus inquiète. Qu’elle ait été si longtemps en réparation ne la surprend pas, pas après les dégâts qu’elle s’était pris. Mais le fait que Tifa n’ait pas dormi depuis plus de quatre jours l’inquiétait beaucoup plus qu’elle n’aurait aimé le laisser paraitre.

Tifa rit, elle le sait, elle aussi, que ce n’est pas une bonne chose, pas du tout.  Et la voilà qui se met à pleurer, et la cyborg soupire longuement, tentant de trouver son regard. Elle n’y arrive pas, pas avant que Tifa lui dise qu’elle est fatiguée avant de se lever, évitant encore son toucher, avant qu’elle ne s’effondre par terre, à quatre pattes. Bolga est vite sur ses pieds, franchissant les quelques pas l’amenant à sa belle.

▬ Mais où vas-tu, mon amour? Tu ne peux aller nulle part dans ces conditions.

Tout en disant ces mots, sur un ton à la fois inquiet et attendri, Bolga la prend dans ses bras, déposant un court baiser sur son front. C’était son tour, cette fois, de l’entrainer vers sa chambre. Une fois qu’elle l’aurait déposée, elle pourrait signifier à ses supérieurs qu’elle était réveillée.

▬ Viens. Ma chambre n’est pas loin.