Il grogne un peu. D'un coté, il s'attendait à ce qu'on l'empêche de partir, mais d'un autre... il espérait tellement pouvoir s'y échapper. Il aurait pu insister, mais ses paroles le fait figer sur place. D’où elle sait ça, elle ? Pourquoi il croise des femmes qui ont l’air de savoir des choses ? D’abord Mary Poppins, maintenant elle… elle. Pour la première fois, Akusei la regarde véritablement, attentif. Des cheveux blancs, presque comme les siens, d’étranges marques rouges et… des attributs canins ? Mais il s’égare, et il sait qu’elle a raison. Il se surmène, un peu trop, mais il ne veut pas arrêter. C’est plus fort que lui.

”Je vous assure, vous perdez votre temps… il y a beaucoup plus important ! Je me surmène toujours de toute façon. Ce n’est ni la première, ni la dernière fois.”

Mais il imagine que c’est une bataille perdue d’avance, surtout en la voyant reprendre sa gourde, alors qu’elle lui dit de la suivre sans râler. Akusei se met à croiser les bras, réfléchissant tout de même à cette proposition. Et s’il n’a pas envie, hein ? Dans ce cas…

Il se lève en décroisant les bras, les jambes un peu tremblante et baisse la tête.

”D’accord, d’accord… je vous suis.”

Autant l’écouter puisqu’il ne semble pas avoir le choix. Il s’est même retenu vivement de rajouter un autre commentaire, mais il a eu cette intelligence de la garder pour lui.

Elle ne lui réponds pas. Tout au plus, elle reprends sa route, lentement. Elle boite, comme toujours, mais son unique pas, lui, est pressé. Tout ce qu'elle fait, c'est vérifier une fois de temps en temps si le garçon le suit. Enfin,"garçon", il est plutôt âgé pour se faire appeler ainsi. Peu importe, ils ne vont plus tarder. Elle passe d'une ruelle à l'autre. Des raccourcis, avec sa canne, on finit toujours par les chercher, et les trouver. Elle s'arrête devant un petit immeuble. Elle lève sa canne pour pointer le sommet.

J'habite sur le toit, viens.

Son pas la mène jusqu'à l'arrière de la bâtisse. Une porte qui mène directement sur les escaliers du bâtiment. Vous savez, celui qui n'a reçu aucun effort de décoration ou d'entretien.

Pas d'ascenseur. On va monter les marches. Appuis toi sur l'accoudoir. La dernière phrase s'est clairement faite entendre sur un ton autoritaire.

Et elle s'élance la première. Son ascension est lente, très lente. Elle prends appuis sur l''accoudoir bien plus que sur sa canne. A vrai dire, elle s'y accroche presque sur le coup du stress. Peur de glisser, ou tomber peut-être. Peu importe, elle se retourne régulièrement pour voir l'état du jeune blondin. Il est fatigué. Et son monologue sur le surmenage l'aurait fatigué elle aussi. Et finalement, elle ouvre la porte tout au sommet. Les voilà de nouveau dehors mais cette fois, se tient devant eux une maison, sa maison. Elle parait hors du temps, loin de l'esthétique occidentale. Il y a même un petit jardin suspendu avec de l'eau. Son pas l'amène à l'entrée. Un petit hall aux couleurs chaleureuses mais à la décoration sobre. Vient ensuite le salon. Une table basse, des coussins, des babioles exotiques, des objets d'arts et plein d'autres joyeusetés. Reste deux-trois fauteuils en bois dans un coin.

Assieds-toi, je ramène la trousse.

Comme promis, Akusei suit la jeune femme, trainant un peu du pied. Il est fatigué, et il a l’impression que sa cheville commence à lui faire mal. Sûrement la chute qui n’a pas aidé. Plus important encore, il remarque qu’elle boite et ça l’intrigue. Est-elle blessée ? Il aimerait bien lui poser la question, mais il s’abstient, se contentant de la suivre en silence.
Passant devant une bâtisse, il lève le regard. Donc elle vit en hauteur… et voilà donc les fameux escaliers du coup. Il affiche une légère grimace en remarquant la poussière.

Et bien sûr, il obéit sans broncher, s’appuyant sur l’accoudoir. Et il monte… lentement. Très lentement. Pas qu’il a du mal, c’est parce que la médecin monte à un rythme lent. Il a envie de l’aider, il serait prêt à la soutenir pour l’aider à monter les marches, mais il hésite, et au final il se renferme, serrant son emprise sur l’accoudoir. Curieux, ses yeux se baissent un moment sur ses jambes, se posant des questions, avant de vite les relever, gêné. Tout ce qu’il pouvait faire, c’est garder un léger sourire à chaque fois qu’elle se retourne et monter.

Mais voilà, une fois les escaliers fini, Akusei s’émerveille de ce qu’il voit en face de lui. On aurait presque dit un gamin. Un gamin à qui on a arraché une petite partie de son adolescence.

”C’est vraiment joli !”

Cette ambiance n’a totalement rien avoir avec le reste de la ville, ça l’enchante un court instant avant d’entrer enfin à la maison. Il observe attentivement les alentours avant de poser son regard sur la femme. Puis regarder le salon. Sans dire quoique ce soit d’autre, il se dirige alors vers un fauteuil, hésitant, pour pouvoir s’y asseoir dessus. Toujours pas à l'aise d'être sur un territoire inconnu.

”Mais vous êtes blessé ?”

Et elle s'en va, dans la pièce d'à coté, le portail toujours ouvert pour l'entendre. En deux temps trois mouvement, elle trouve la dite trousse. Elle l'ouvre, vérifie que tout est bien là, c'est bon. Dans le doute, elle va récupérer de l'onguent et des pansements. Tant qu'elle y est, commencer à faire bouillir de l'eau, au cas où. Bien, maintenant tout est prêt, elle v-

"Mais vous êtes blessé?"

Elle s'arrête net. Tant qu'il ne la voit pas, elle en profite pour inspirer profondément. Elle aurait dû prendre l'ascenseur. A chaque fois elle fait l'erreur. Toujours la même rengaine. Elle déteste ces moments-là. Mais bon, pas le choix. Elle ne réponds pas, se contente de prendre ses affaires et de revenir le voir. Toujours sans dire mot, elle va vers lui. Tout en s'abaissant, elle tire en arrière tout le coté droit de son kimono. Une ouverture pratique quoiqu'un peu révélatrice mais surtout, qui lui permet de bouger sa prothèse, prothèse désormais à la vue du garçon. Une jambe de bois taillée pour ressembler à une vraie jambe, peinte en blanche, des motifs rouges comme sur sa peau. Elle remplace la totalité du membre perdu. Soit il éviterait de regarder par politesse, soit il ne ferait que ça, curiosité indiscrète. Dans les deux cas, difficile pour elle de lui reprocher. Une main se pose sur sa prothèse pour plier l'articulation. Petit à petit, elle se met à genoux, à son niveau. A peine en position qu'elle commence déjà à sortir ses bricoles. Elle ne dit toujours rien. Son regard parait fuyant. Elle prends un bras du garçon et s'affaire aux soins habituels, sans pouvoirs. Elle reste comme ça, silencieuse...mais elle aussi ne se sent pas à l'aise, du tout.

Tu t'appelles?

Mais sa bouche reste entre-ouverte. Elle hésite, mais pour quoi ça...

Tu viens d'arriver? Pas très habile comme question mais, le contact n'est plus son fort depuis des années.

Le silence. Ca aussi c’est une bonne réponse et peut-être qu’il devrait éviter de poser ce genre de question, ça se trouve il l’a dérangé alors qu’il était juste inquiet. Akusei s’enfonce un peu plus dans le fauteuil, reprenant son éternel silence, les yeux baissés. Et ils ne les relèvent même pas lorsqu’il entend qu’elle arrive enfin vers lui, se contentant de fixer le sol encore un moment. C’est en se mettant à sa hauteur qu’Akusei a pu voir cette jambe par inadvertance. C’est du bois…? Qu’importe, le jeune homme relève vite son regard dans la seconde d’après en s’excusant dans un très faible murmure. Il ne voulait pas regarder à la base, c’était juste là sous ses yeux pendant qu’il avait la tête basse. Ca se trouve c’est quelque chose dont elle veut pas parler, même s’il peut s’inquiéter. C’est peut-être pour ça qu’elle est silencieuse ? Ou alors c’est juste lui qui pense beaucoup, pour ne pas changer les mauvaises habitudes.

”Je m’appelle Akusei.”

Dit-il à voix basse, observant ce qu’elle fait à son bras. Ca pique un peu, mais il résiste. Même s’il a envie de fuir. Même s’il a envie s’enfermer dans son nid et ne peut plus jamais en sortir, il reste là, à regarder, à subir les soins.

”Euh...”

Malheureusement, il ne vient pas d’arriver, il est là, seul depuis trop longtemps à son goût, et il doit continuer seul. Son coeur s’alourdit rien que d’y penser, mais il retient ses larmes, le regard neutre, presque vide d’émotions.

”Non. Je suis là depuis quatre ans maintenant… mais je ne sors vraiment pas beaucoup, à part pour… faire quelques missions par-ci par-là, rendre service aux gens qui ont besoin...”

Mais qui voudrait l’aide de quelqu’un qui n’a pas su aider ses amis ? C’est ce qu’il se demandait et ça lui faisait encore plus mal au coeur, se demandant sérieusement pourquoi il fait ça déjà. La solitude l'a terni.

”Et vous ? Et co-comment vous appelez-vous ?”

Elle prends son bras, applique l'onguent là où elle peut, désinfecte sur les plaies, ect ect... Il est plus amoché qu'il ne doit s'en rendre compte. Elle prends son temps, assidue, pointilleuse jusque dans les moindres détails. En toute honnêteté, elle n'est pas pressée, loin s'en faut. En un sens, elle voulait faire quelque-chose pour se vider la tête, c'est l'occasion. Contrairement à elle, ses oreilles de canidés bougent gauche à droite lorsqu'elle entends son nom. Akusei, c'est drôle, la phonétique ressemble terriblement à celle de sa langue natale. Et tandis qu'il raconte sa vie, elle continue les soins. Quatre ans hein? Presque aussi longtemps qu'elle, presque. A l'entendre et à voir son comportement, il est le genre à s'isoler. L'entendre utiliser le mot "missions", hm, c'est bien m'as-tu-vu comme terme pour ne pas dire juste "petit boulot". Curieux qu'elle ne l'ait jamais vu non plus d'ailleurs.

On va passer à la tête.

Et elle s'exécute. Sa main se pose délicatement sur la joue d'Akusei, l'autre prends du coton avec du désinfectant. Elle tapote sur le front. Il ne s'est pas ouvert, ou du moins rien de sérieux. Elle frotte tout doucement, bien plus que pour les bras. C'est comme si elle avait peur de le casser, enfin presque. Le jeune homme lui demande son nom.

Akako.

Et elle continue, toujours plus lentement sur le visage.

Tu as de la famille? Ou tu as atterri ici seul?

Dit-elle en essuyant du pouce le surplus sur son visage. Alors qu'elle commence à remettre les affaires dans la trousse, ses yeux se posent sur les genoux du garçon. Une main se pose lentement sur le genou. Elle touche, cherche à travers le tissu et trouve. Une petite pression et elle voit un petit quelque-chose carmin s'étaler. Il ne l'a pas senti sur le coup. Tant mieux, autant régler le problème avant que sa tension ne chute.

Tu t'es ouvert. Baisse ton pantalon.

Ses mouvements sont lents et doux, elle est vraiment douce. Ce n’est pas souvent qu’on prend soin de lui de cette façon, ça lui faisait bizarre et il reste un peu crispé, mais il se laisse totalement faire. Même s’il se sent vulnérable et qu’il déteste cette sensation. Ses gestes lui faisaient tellement rappeler ceux de sa pauvre mère malade, mais elle aussi, elle n’existe plus. Il le sait.

Akako est donc son nom. Ses lèvres s’étirent dans un léger sourire qui ne dure que quelques secondes en entendant la question d’après. Il se renferme, enfilant son air neutre habituel.

”Non, je suis seul. Je pense que c’est mieux ainsi...”

C’est faux, la solitude tape sur son mental, mais il persiste à rejeter les gens. Il veut se cacher sous sa carapace d’acier parce qu’il a peur de s’attacher et regretter ensuite. De perdre à nouveau. Il se crispe encore plus, l’observant faire, pas tranquille. Ses yeux s’écarquillent légèrement sous la surprise alors qu’il serre les poings, les jambes légèrement tremblants.

”Non !”

Crie-t-il sous l’impulsion, la regardant droit dans les yeux, il avait plus l’air troublé qu’agressif en réalité. Il n’arrive pas à comprendre cette peur qui a parcouru son corps il y a un instant. Il devrait obéir, qu’il se répète à plusieurs reprises pour se raisonner. Sur ce, il se soulève un peu pour pouvoir baisser lentement son pantalon, les mains tremblantes

"C'est mieux ainsi" Elle a froncé les sourcils et plissé les yeux sur l'instant. Intérieurement, sa première réaction c'était "non petit con c'est pas comme ça que ça marche, tu te fais juste du mal". Oui c'est vrai, seulement, Akako fait exactement pareil. Elle le sait, et ça la frustre. Si elle ne savait pas se contrôler, elle aurait appuyé plus fort par inadvertance. Lui aurait probablement fait mal. Il est raide, terriblement à cran. Surtout quand Akako lui a donné l'ordre. Son cri a réussi à la surprendre, un peu. Elle ne s'y attendait pas, elle aurait dû. Les yeux dans les siens, les pupilles d'Akako se dilatent. Son visage n'a pas changé d'expression mais ses yeux la trahissent. Elle a peut-être trop sèche cette fois. Peut-être que c'est un soupçon de culpabilité qu'elle ressent. Elle retire ses mains brusquement. Elle se traîne elle et sa prothèse en arrière. Elle a le regard ailleurs le temps qu'il s'affaire. Elle n'est pas pudique mais lui si visiblement.

Quelques secondes plus tard, le "rideau" tombe. Bah voilà c'est pas si terrible non? Akako ne comprends pas cette culture du caché. Enfin peu importe. Son regard se fixe à nouveau sur le genou. C'est bien ouvert en effet. A vrai dire, c'est étonnant qu'il n'ai pas eu plus de mal à enlever son pantalon. Elle pose sa main au dessus du genou et regarde, pensive. Elle ne va pas pouvoir régler cela sans lui faire mal. En d'autres circonstances, cela n'aurait pas été un problème mais on ne va pas faire un tel foin pour "si peu". Alors elle place ses deux mains tout doucement sur le genou. Une fois de plus émane cette lumière et cette chaleur. Elle laisse agir plus longtemps qu'à la normale. Ses mains libérées, se dévoile un genou complètement neuf et même en meilleur état qu'à l'origine.

Voilà.

Elle reprends appui sur sa jambe de bois et se relève, non sans lutter vaguement pour garder l'équilibre.

Cela dit...

Et elle s'en va s'asseoir sur les coussins. La jambe droite, toujours amovible est tendue et allongée. Trop encombrante pour elle, pose ses mains sur l’extrémité, tout en haut de la prothèse. Elle pousse un coup, puis un déclic et la jambe de bois se détache. Elle pose l'objet sur le coté, qu'il n'interfère pas entre eux. Un début de cuisse, puis un moignon, couvert de bandages; c'est tout. Elle remet en place le coté droit de son kimono, de sorte à paraître plus civile, puis place sa jambe gauche en tailleur. Elle lie ses doigts et le regarde fixement.

Pourquoi tu fais ça?

Pour une fois, le ton de sa voix n'était pas froid. C'était plus...humain? Chaleureux? Attentionnée? S'il savait tout ce qu'elle voulait dire en l'espace d'une seule question, ce serait tellement plus simple.

Il frissonne et ça pique. Ses lèvres se pincent, il regarde la scène, presque les larmes aux yeux, mais ça ne l’empêche d’être émerveillé par ses soins. Elle pouvait vraiment faire ça ? Cette femme semble puissante tandis que lui se sentait si faible… mais plus important encore, il observe son petit manège et il cligna des yeux, perturbé. Elle vient de faire quoi là ? Sa jambe…? Le jeune homme commençait à devenir un peu plus pâle, pas comme s’il l’était déjà, mais si en fait. Il ne sait plus où regarder, ni quoi faire, bien trop gêné d’avoir vu ça. Attends, est-ce qu’elle passait un message par hasard ? Du genre… ‘fais attention à ta jambe la prochaine fois ou tu auras la même chose’ ? Il frissonne. Et cette fois-ci, ce n’est pas que de petits frissons, ils sont plus gros, plus intenses.

“Pourquoi tu fais ça?”

Il n’en sait rien. Faire quoi au juste ? Pourquoi sa voix lui semblait plus douce ? Pourquoi il avait eu la sensation d’entendre son amie perdue avant de revenir à la réalité et s’apercevoir qu’il est ici ? Il tremble. Il a envie de rentrer chez-lui, son vrai chez-lui. Ou s’enterrer. Ou bien rentrer chez-lui et s’enterrer. Il ne sait plus. Il est juste perdu.

”F-f-faire qu-quoi ? J-Je ne sais pas, j-j-je ne c-comprends rien… j’ai peur...”

Mais Akusei, pourquoi tu fais ça, de quoi as-tu si peur ?

De moi-même.

”Pourquoi je suis là ? Pourquoi je n’ai pas disparu ? Je n’ai rien mérité… ils veulent sûrement que je continue, mais je ne sais pas. Je ne suis pas comme eux, je suis faible… je dois rester pourrir, je dois rester dans l’oubli… les ténèbres...”

Il rageait contre lui-même, d’une voix basse pourtant, quelques larmes finissent enfin par perler sur ses joues, n’arrivant pas à les retenir, mais il persiste. Ses mots ne sont pas clairs, il ne parait pas conscient de ce qu’il est en train de dire, c’est plus comme s’il suivait un flot de pensées et qu’il le disait à voix basse, presque traumatisé. Il ramène difficilement ses genoux contre lui, se mettant en boule. Cette fois-ci, il se renfermait totalement, dans tous les sens du termes. Le regard vide, fixant un point invisible, s’arrêtant de pleurer. Pour pouvoir sangloter intérieurement.

Il bégaye, puis sa voix tremble. Son regard se perds et Akako commence à se répéter la même chose en boucle. Qu'elle est allée trop loin, que c'était indiscret. Ce n'est pas du malaise qu'il ressent, c'est de l'insécurité, non, il y a plus. Et puis, il déballe tout, il laisse même échapper des larmes. Ses mots, ils frappent par-delà toutes les défenses qu'Akako a forgé en elle, tout ça pour frapper en plein coeur. Tout ce qu'il dit, c'est ce qu'elle sent, depuis des années. Ce qu'il vit, elle le vit aussi. Le surmenage, ça aussi. Les similitudes qui vont jusque dans les noms, le physique et les souvenirs. Son coeur se prends un choc puissant, terrible. De quoi le faire saigner d'une amère nostalgie. Ses mots sont ceux qu'elle n'a jamais voulu prononcer. Ça la déstabilise. Elle devient pâle, son regard froid et neutre devient déconfis, troublée. Elle a horreur de ça mais c'est trop tard, ça a frappé là où ça fait mal, pour lui comme pour elle. Ses yeux noirs commencent même à s'humidifier. Pas de larmes, elle sait se retenir, mais l'émotion est trop intense pour tout contenir cette fois. Elle le voit, s'avachir, s'isoler physiquement. Il fait exactement tout ce qu'elle refusait de faire, de peur de ne pas en ressortir. Elle ne peut pas, elle veut faire quelque-chose, tout de suite. Il a comme, réveillé l'ancienne Akako, celle qui est morte dans son monde. L'Akako qui a laissé la rage parler, déchaîner sa puissance pour au final se retrouver totalement impuissante quand les autres tombaient, quand Akihiko...

Elle prends sa canne et se lève, pas le temps de prendre sa prothèse. Elle va à cloche-pied jusqu'à son fauteuil. Elle laisser tomber sa canne et s'écrase presque sur lui, à l'enlacer, fort, très fort. Il en a besoin, elle aussi. Ses lèvres grimacent, elle se retient. Elle doit rester stoïque. C'est elle qui doit se montrer forte. Elle doit faire plus mais, elle peine. Elle s'accroche à lui et lutte pour garder une respiration sereine et calme. Difficile quand son coeur bat à cent à l'heure. Elle essaie de se reprendre, d'inspirer, expirer. Finalement, elle laisse s'échapper une phrase, dans un souffle.

...Je sais. Soupire-t-elle en caressant les cheveux du garçon.

Elle aurait aimé dire plus, mais si elle le faisait, sa voix deviendrait tremblante, faiblarde. Elle a déjà beaucoup de mal à maintenir cette persona de la dame blanche. Elle ne doit pas lâcher, il en a besoin. Elle aussi oui, mais elle doit l'intérioriser, que tout s'arrange dans son esprit et non sur l'instant. En attendant, c'est tout ce qu'elle peut faire, jusqu'à ce qu'il se libère ne serait-ce qu'un peu.

Le poids sur ses épaules devenait lourd d’un coup sans pour autant être désagréable. Lentement, ses yeux verts s’ouvrent pour remarquer que c’était Akako. Elle était là, en train de le serrer contre elle, de toutes ses forces. Dans l’incompréhension, il cligne des yeux, il se tend un peu. Qu’est-ce qu’il doit faire dans ce genre de situation ? Il y a longtemps qu’il n’a pas reçu de câlin comme ça. Il revoit encore cette image de Tsuki, cette douce amie qui était une petite soeur, mais aussi un guide, pour lui, qui aimait recevoir et surtout donner des câlins. Et il se souvient à quel point c’était réconfortant, chaleureux, apaisant. Elle avait toujours les bons mots et les gestes. Ces souvenirs écrasent un peu plus son coeur qui lui fait mal, néanmoins il commence enfin à bouger : il se blottit un peu plus contre la jeune femme, pleurant en silence. Sentir sa caresse dans ses cheveux le fait fermer les yeux, ce geste lui a cruellement manqué, il en avait besoin.

”Je n’aime pas ça… je n’aime pas être seul… ça me fait peur, mais je sais que je serai toujours seul… je me sens comme un vulgaire déchet.”

Presque timidement, il se permet de passer lentement, doucement, ses bras autour d’elle pour lui donner une étreinte plus forte, pour ne pas qu’elle tombe aussi. Il a peur qu’elle tombe. Il a peur que d’un seul coup, elle disparaisse. Du coup il la gardait auprès de lui, comme il a pu garder son ami contre lui avant d’atterrir à Traverse Town. Non, il ne faut pas qu’il pense. Akusei est tellement capable d’avoir peur de serrer quelqu’un dans ses bras en pensant que la personne va juste disparaitre dans la seconde d’après. Il se met à trembler, la gorge serrée, l’estomac noué.

Elle ne savait pas si ça allait marcher mais, apparemment si. Il va même vers elle, il laisse aller, il accepte même. C'est fou, cette même longueur d'onde. Une espèce de synchronisation instinctive. Comme si ce n'étaient pas leur esprit mais leur coeur qui parle. Il laisse encore aller les mots, ce qu'ils contenaient tous les deux depuis longtemps. Qu'il le sache ou non, il parle pour eux deux. Le sentir se blottir contre elle, cela réchauffe le coeur refroidi d'Akako. Cette sensation si agréable, réconfortante même, elle ne l'avait plus sentie depuis si longtemps. Et puis ses bras l'enlacent à son tour et la tiens en équilibre. Elle s'attendait à ce qu'on l'enlace aussi, que l'on s'accroche à elle mais pas aussi pour qu'elle s'accroche à lui. Sa fierté maternelle est blessée mais, au diable. Elle s'est toujours forcée à tenir debout, à ce qu'elle reste droite sans qu'on l'aide. Son geste lui a juste rappelé qu'en réalité, elle en avait besoin. Depuis que la vie l'avait rendue aigrie, elle se sentait tanguer, glisser. Qu'on la rattrape physiquement, c'est comme si on la rattrapait symboliquement. Pour la première fois, elle se sent réconfortée. Elle ne veut pas le montrer mais, ça la rassure. Donner ET recevoir, c'est beaucoup pour un seul coeur comme le sien. Sa queue commence à remuer légèrement. Une once de joie malgré la tristesse. Elle pose sa tête contre la sienne et continuer de caresser son scalpe.

Tu n'es plus seul... Toi non plus Akako, tu n'es plus seule.

Son autre main caresse sa joue tendrement alors qu'elle vient déposer un baiser sur son front. Elle se blottit à son tour. C'est trop et c'est trop tard. Le masque est tombé, et l'Akako d'un temps passé ressurgit. Elle se retrouve être douce, aimante. Au moins pour ce soir, la haine s'est évaporé, la colère estompée. Et elle continue de le câliner comme si c'était son enfant. Il n'a pas éclaté en sanglots mais elle ne peux s'empêcher de lui faire:

Chhhh... ça va aller... ça va aller...

Et elle reste comme ça, encore un moment. Qu'ils restent ainsi, ne serait-ce qu'un peu plus longtemps. Ca fait du bien, vraiment. C'est fou comment un parfait inconnu qu'elle était prête à mépriser il y a peu, devient la cible de toute son affection. Elle ne sait même pas qui il est ni d'où il vient. Tout ne se fait qu'à l'instinct, à l'émotion.

Il faut que je prépare à manger. Tu peux rester ici ce soir.

Dire qu'en temps normal, elle aurait envoyer bouler n'importe qui. Mais, on l'a prise par les sentiments. Sa voix était redevenue calme, paisible. Oh il n'y avait absolument plus ce ton froid, presque détestable. C'est un ton bien plus attentionnée et maternel. Drôle de nuit, vraiment.

“Tu n’es plus seul”
Cette simple petite phrase a eut le don de faire frissonner Akusei avant de ressentir comme une sensation de bien-être. Instinctivement, il se blottit un peu plus, comme un enfant le ferait avec une mère. Une mère… jamais il aurait crut que ça pouvait un jour arriver. Il ne la connait pas du tout, elle lui semblait ne pas aimer sa présence et pourtant elle l’a soigné, maintenant elle le serre dans ses bras. Il n’est pas doué dans ce domaine, il ne comprend pas le social, mais les gestes et ses mots réussissent à percer son armure imaginaire, envahissant son coeur. Le chagrin est loin désormais. Il a envie de rester là, pour toujours, blottit et la gardant contre lui en même temps. Il avait juste besoin d’affection et d’amour, qu’importe la forme, tant que c’était sincère. Et il avait envie de donner du sien aussi. Il pourrait presque s’endormir, apaisé, sans craindre les cauchemars qui attendent qu’il dorme pour venir le tourmenter.

”Maman...”

C’est sorti comme ça, inconsciemment, dans un long souffle paisible. Ses pleurs ont cessés, il se sent un peu plus heureux. Il était rassuré, frottant doucement sa joue contre la sienne, enfantin avant de s’arrêter lorsqu’elle annonce devoir préparer le repas, mais qu’il pouvait rester là ce soir. Elle avait l’air si attentionné qu’il pourrait presque fondre de bonheur. Akusei se redresse légèrement, défaisant son emprise sans pour autant retirer ses bras, mais si jamais elle se lève, ils tomberont sur le fauteuil de tout façon, puis il la regarde. Un sourire léger au visage, mais sincère. Un sourire sincère qu’il n’a plus utilisé depuis tellement de temps. Plus besoin de se cacher dans des mensonges ou des carapaces.

”D’accord et… je veux bien rester avec… toi.”

Il a hésité, mais c’est la première fois qu’il la tutoie, seulement il ignore si ça la dérange ou non.

”Je veux t’aider !”

"Maman"

Elle l'a entendu, elle n'a pas rêvé. Ses yeux s'écarquillent, son sang ne fait qu'un tour et son coeur a raté un battement. Sa grimace ne sait pas comment évoluer pendant quelques secondes et ses yeux commencent à s'humidifier. Cette grimace qui évolue en sourire très maladroit. Beaucoup de souvenirs reviennent, de bons souvenirs. De quoi la ramener à l'époque où elle vivait avec Akihiko. Ni le même âge ni le même sang dans les veines mais ils étaient liés par quelque-chose de bien plus profond que cela. Un quelque-chose qui, depuis son arrivée à Traverse, lui a cruellement manqué. Et là, comme ça, d'un coup, cela lui revient. Une chaleur qui vient guérir une plaie sur son coeur qui n'a jamais cicatrisé. Pour la première fois depuis qu'elle est en ville, Akako est heureuse. Elle sent même une goutte s'échapper d'une de ses paupières. Elle l'essuie aussitôt tant que le garçon ne voit pas.

Akusei, justement, le voilà qui se relève. Ses mains ne relâchent pas Akako. Il faut dire, sans cela, elle tomberait. Ironique de voir comment les rôles s'inversent. Elle le regarde, concentrée, parée à écouter la moindre de ses paroles.

"Je veux bien rester avec toi"

Jamais elle ne se serait dit aujourd'hui que ses mots la feraient sourire et lui donner des étoiles plein les yeux. C'est comme si, elle aussi, venait d'être adoptée; en tant que figure maternelle certes mais tout de même. Cette sensation tellement agréable, de ne plus se sentir abandonnée, d'avoir été retrouvée. Dans le fond, trop peu de choses ce soir se font selon la voix de la raison. Qu'importe, le coeur a ses raisons que la raison ignore. Elle élargit son sourire et hoche la tête. Cela lui fait tellement...bizarre, de se sentir comme si elle était l'Akako d'il y a 5 ans. A peine rencontrés et déjà un lien étrange, mystique. Les deux se connaissent déjà sans se connaitre.

Dans ce cas...

Elle relâche un de ses bras pour prendre appui sur le fauteuil afin de se relever elle aussi. Dès lors qu'elle se retrouve debout, elle prends appui sur le premier meuble venu. Elle retourne vers les coussins, et surtout sa jambe, en pointant la pièce d'à coté.

Va fouiller dans la cuisine et amène de quoi faire bouillir du riz.

Elle se repose lentement vers les coussins pour rattacher sa jambe.

On ne fera pas de la grande cuisine cette nuit mais, ça va te permettre de te faire à la maison.

Car oui, lui comme elle, compte bien faire en sorte qu'il reste ici. A partir de maintenant, ils sont une famille. Une famille qu'ils n'ont pas entièrement choisi, mais qu'ils acceptent plus que volontiers.